Le bruit de fond pendant l’appel téléphonique était familier… C’était celui
du chaos organisé d’une famille de hockey qui se prépare à prendre la
route.
« Pouvez-vous rappeler plus tard cet après-midi? Je pars afin de reconduire
Aries à son école pour demain, et nous n’aurons pas de signal pendant un
bon moment quand on traversera le Labrador. On est en train de le préparer
pour le départ. »
LE PARCOURS
Le parcours pour permettre à Aries Benuen de retourner à l’école (et de
reprendre le hockey) pour la saison 2020-2021 a commencé en mai.
Lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé, freinant du même coup l’économie
canadienne, Sebastien, le grand-père d’Aries, a vite réalisé que son
entreprise de construction serait sans travail et que la famille n’aurait
pas les moyens de payer pour une autre année à l’Académie internationale de
hockey du Canada (Académie CIH), une école agréée de Hockey Canada à
Rockland, en Ontario.
S’il voulait donner à Aries, 14 ans, la possibilité d’aller à l’école et de
jouer au hockey, il allait devoir faire preuve de créativité.
Sa solution? Une marche de 330 kilomètres le long de la route
Translabradorienne afin d’amasser le montant nécessaire pour les frais de
scolarité.
L’inspiration pour une longue marche, qui, selon Eugene Hart, chef de la
Première Nation innue de Sheshatshiu, est devenue l’activité de collecte de
fonds de prédilection dans la région, est venue d’un autre résident de
Sheshatshiu, Michel « Giant » Andrew, qui a fait la une des journaux en
2012 lorsqu’il a
décidé de parcourir plus de 900 kilomètres à pied
pour financer l’achat d’un appareil de dialyse.
LA CULTURE ET LES VALEURS INNUES
Sebastien et sa femme Damiana ont accepté de prendre soin d’Aries quand il
était bébé après que le père de celui-ci se soit enlevé la vie. Les Benuen
l’ont élevé de manière à ce qu’il puisse profiter de toutes les chances
qu’ils sont en mesure de lui offrir. C’est ce que dictent les valeurs
innues, qui sont également reflétées dans le parcours entrepris par Aries
et Sebastien.
Selon Mary Janet Hill, membre du conseil de la Première Nation innue, « la
marche, cette volonté de recueillir des fonds et de faire ce que l’on peut
pour partager notre culture avec le pays témoigne d’une grande résilience,
des racines locales de notre petite municipalité et de l’esprit
communautaire bien vivant. »
Tandis que Sebastien, le grand-père d’Aries, et ses amis parcourent 300
km à pied afin d’amasser des fonds pour #AriesBenuen, les grands-mères
sont au camp pour surveiller les jeunes et veiller à ce qu’un repas
traditionnel chaud et nourrissant soit prêt à la fin de la journée.
La Première Nation innue, qui compte 2 000 personnes, est composée de deux
communautés isolées du Labrador : Sheshatshiu et Natuashish. Les Benuen
vivent à Sheshatshiu, à 40 kilomètres de Happy Valley-Goose Bay, la ville
la plus proche, et à 325 kilomètres de l’endroit où a débuté leur marche de
collecte de fonds, à Churchill Falls.
La communauté et l’appartenance passent avant tout au sein de la Première
Nation innue. Un camp annuel a lieu chaque printemps pour permettre aux
Innus de partout au pays de rentrer chez eux et de se réunir. Chaque
automne, dans le cadre d’un rassemblement communautaire, plus de 200 tentes
sont dressées en vue d’une fin de semaine de célébration des traditions.
« Même notre langue se porte très bien », exprime le chef Hart. « Dans
l’ensemble, de 70 à 80 % des membres de la communauté, y compris nos
jeunes, parlent notre langue. »
LE HOCKEY ET LA PREMIÈRE NATION INNUE
Il y a une autre langue parlée par le peuple de la Première Nation innue :
celle du hockey. La plupart des enfants de la région y jouent, et le chef
Hart sait à quel point ce sport est important pour sa communauté.
« Le hockey permet aux enfants de rester actifs et d’être disciplinés
plutôt que de s’attirer des ennuis ou de faire des choses qu’ils ne
devraient pas faire », explique-t-il.
Mais notre passe-temps national joue un rôle encore plus grand.
« Il donne de l’espoir aux jeunes Innus, il les inspire », affirme Mary
Janet. « Ils veulent faire de grandes choses. S’ils participent à des
tournois locaux, ils veulent le montrer et être fiers d’eux-mêmes et de la
communauté. S’il y a un tournoi local, les encouragements les plus forts
que vous entendrez proviendront de notre communauté ».
Le conseil a fait appel à Jordin Tootoo, médaillé d’argent au Championnat
mondial junior de l’IIHF et premier Inuit à jouer dans la LNH, pour
rencontrer les jeunes et tenir des séances sur glace dans les communautés
avoisinantes en janvier 2019. Sa voix et son leadership lors de la
conférence nationale annuelle de l’Association canadienne pour la
prévention du suicide ont été un puissant témoignage d’espoir et des
possibilités qui existent.
« Il a beaucoup été aimé et il a été très inspirant », raconte le chef
Hart, qui insiste sur l’importance pour ces enfants de se sentir
représentés et de voir qu’il est possible pour eux de réussir.
J’ai hâte de visiter Terre-Neuve-et-Labrador pour tisser des liens et
raconter mon histoire cette semaine. Premier arrêt : la Première Nation
innue de Sheshatshiu.
Il va sans dire que cette représentation est importante pour que les
enfants puissent se voir sous les projecteurs de la LNH, mais Mary Janet
ajoute que des enfants qui sont doués au hockey comme Aries donnent eux
aussi de l’espoir à la communauté.
En fréquentant l’Académie CIH, Aries a accès à une compétition plus forte
que celle qui s’offrirait à lui à la maison, mais il rapporte toujours chez
lui les leçons apprises, la confiance acquise et son sentiment de fierté.
Ryan Lauzon, ancien joueur professionnel et entraîneur d’Aries à l’Académie
CIH, s’efforce d’inculquer une attitude positive non seulement à Aries,
mais aussi à tous ses joueurs. Aries est extrêmement « discret et humble »
en dehors de la glace, mais son attitude polie et sans prétention lui
permet de bien s’intégrer à son équipe.
« On voit qu’il a été bien élevé », dit Ryan. « Si j’étais lui, ça
m’inspirerait de recevoir cet amour et ce soutien de ma famille et de ma
communauté. Je pense qu’il va se donner comme mission de travailler un peu
plus fort [cette saison] et de veiller à profiter de l’occasion qui se
présente à lui. »
Il n’est pas le premier jeune de Sheshatshiu à saisir une chance comme
celle-ci. Selon le chef Hart, au moins une douzaine d’enfants ont suivi la
voie des écoles privées ces dernières années, et le fait de partir pour
jouer au hockey et s’instruire n’enlève rien à l’impact positif de cette
démarche à l’échelle locale.
« D’autres enfants sont devenus des partisans, ils ont maintenant une
idole. Ça encourage les jeunes à en faire plus. »
Aries Benuen est un enfant qui a une chance incroyable, et pourtant, il
incarne le rêve de tant d’autres. La famille continue son parcours
aujourd’hui et apprécie tout le soutien qu’elle reçoit pour Aries.
Tshinashkumitinau.
LE BATTAGE MÉDIATIQUE
Sebastien ne s’attendait pas à retenir l’attention des médias nationaux
lorsqu’il a planifié la marche de collecte de fonds ni lorsqu’Aries et lui
se sont mis en route le 29 août. Initialement, ce sont la famille, les
représentants locaux, les aînés, les amis et les coéquipiers d’Aries, des
équipes de hockey mineur et d’autres membres de la communauté qui sont
venus montrer leur appui.
Cependant, la CBC, le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN)
et le périodique Maclean’s ont repris l’histoire de leur périple, et tout a
fait boule de neige par la suite.
« Je ne pensais pas que ça prendrait autant d’ampleur », avoue Sebastien. «
Mais j’ai été vraiment surpris du nombre d’appels que j’ai reçus. »
L’attention des médias a certainement contribué à la récolte de plus de 75
000 $, soit beaucoup plus que l’objectif initial. Cela dit, les véritables
héros de cette histoire demeurent le pouvoir de la communauté, la passion
pour le hockey, la résilience et l’espoir dans les moments difficiles.
La famille Benuen salue de tout cœur tout le soutien qu’elle a reçu
pour Aries. L’objectif était de 50 000 $, et près de 75 000 $ ont été
amassés! Bravo à tous! Ce montant permettra à Aries d’aller à l’école,
de voyager en Europe et de participer à d’autres occasions qui lui
seront offertes.
LA SUITE DU PARCOURS
Tandis que Sebastien et sa femme continuent de soutenir Aries dans la
réalisation de ses rêves, notamment en faisant avec lui le long trajet de
Sheshatshiu à Rockland la semaine dernière, Sebastien nourrit les mêmes
espoirs que ceux de tout grand-père canadien.
« J’aimerais qu’Aries termine l’école, et pour le reste, je ne sais pas ce
qui va se passer », dit-il. « Comme je lui ai dit, va là-bas et reçois une
bonne éducation, joue au hockey en même temps, fais de ton mieux,
n’abandonne jamais et tu finiras par réussir ».
À bien des égards, ce parcours de 330 kilomètres est à l’image de celui du
hockey canadien. C’est un long chemin, parfois difficile, rempli de leçons
de vie et de souvenirs créés au passage. Il y aura parfois des arrêts chez
Tim Hortons, des soirées pyjama ou des problèmes d’équipement, mais la
communauté, les coéquipiers, les amis et la famille qui soutiennent un
joueur dans son développement feront toujours partie de son parcours.
Et dans certains cas, un joueur aura même l’appui de l’ensemble d’une
Première Nation débordante de fierté.
« Pourriez-vous écrire à la fin de l’article que la Première Nation innue
est très fière de Sebastien et de son petit-fils? »
C’est fait, chef Hart.