Si la carrière de Chris Kelly était assortie d'un odomètre, celui-ci
afficherait des distances plus grandes et plus éloignées que dans le cas de
bien d'autres joueurs.
Son parcours au hockey l'a mené de sa ville d’origine de Toronto à la Ligue
américaine de hockey (AHL), puis à la Ligue nationale de hockey, en passant
par une brève période en Europe avec le HC Red Ice dans la Ligue nationale
suisse pendant le plus récent lockout de la LNH en 2012.
À 37 ans, il a savouré une carrière au hockey dont bon nombre de Canadiens
rêvaient quand ils étaient jeunes ou dont on raconte l’histoire.
Ce mois-ci, cependant, tandis qu'il s'approche de la quarantaine, il amorce
un périple dans l'inconnu, à un endroit où il ne pensait jamais jouer au
hockey et au sein d'une équipe qu'il croyait inatteignable.
« Je n'ai jamais cru que je représenterais le Canada aux Olympiques »,
affirme Kelly, capitaine de l'équipe olympique masculine du Canada. «
Lorsque les joueurs de la LNH participaient aux Jeux, il s'agissait d'une
sélection restreinte parmi l'élite. Je n'avais jamais songé aux Olympiques.
»
Il en était ainsi jusqu'à l'actuelle saison, qui fait figure d'exception au
hockey international, puisque, pour la première fois depuis 1998, les
joueurs de la LNH ne seront pas parmi les athlètes olympiques.
En raison de cette décision, les Canadiens qui évoluent en Europe ou ceux
qui ont un contrat professionnel, mais de niveau inférieur en Amérique du
Nord ont eu l'occasion de remplacer les hockeyeurs de la LNH.
Kelly fait partie de ce nombre.
Après avoir terminé la dernière saison avec les Sénateurs d'Ottawa, où il a
joué 82 matchs, en plus de deux rencontres en séries éliminatoires, son
contrat d'un an est venu à échéance.
La seule option ayant réellement le potentiel de lui permettre de
poursuivre sa carrière était d'accepter un contrat à titre de joueur à
l’essai avec les Sénateurs de Belleville dans l’AHL, soit l'équipe-école
d'Ottawa.
Il voulait simplement continuer à jouer. La possibilité d'aller aux
Olympiques n'était qu'une coïncidence, et non un objectif, lorsqu'il a fait
son retour dans l'AHL après plus de dix ans.
Ainsi, lorsque la LNH a refusé de s'associer aux Jeux de PyeongChang et,
par le fait même, d'y envoyer ses membres, les joueurs comme Kelly ont vu
une occasion à saisir.
« C'est la tournure que cette situation a prise », dit-il. « Cette année a
été unique, en ce sens qu'on ne savait jamais ce que l'avenir réservait.
C'était vraiment une période où il fallait vivre une journée à la fois. »
Tout au long de sa magnifique carrière, marquée par une coupe Stanley avec
les Bruins de Boston en 2011 et plus de 1 000 matchs dans les rangs
professionnels, il y avait un honneur qui avait échappé à Kelly avant cette
saison.
Avant de se tailler une place parmi les 25 joueurs nommés à Équipe Canada
en janvier, il n'avait jamais représenté son pays en compétition
internationale.
Tout a changé lorsqu'il a été invité à jouer pour le Canada à la Coupe
Spengler à la fin de décembre dernier. Cette décision s'est avérée payante
tant pour Kelly que pour le Canada, qui a remporté le tournoi pour une
troisième année de suite.
Pour Kelly, il s'agissait d'un essai prolongé en vue d'un poste dans la
formation olympique, ce qui, comme il le savait à l'amorce du tournoi,
demeurait seulement une possibilité, et non une certitude.
« J'y pensais un peu, c'est sûr », se rappelle-t-il. « Si je connaissais de
bonnes performances, il y avait des chances que je puisse me joindre à
l'équipe olympique. »
En plus de la Coupe Spengler, la direction d'Équipe Canada a pu miser sur
différents tournois pour faire sa sélection – l'Omnium de hockey de Sotchi
et le Tournoi de Nikolai-Puchkov en août, la Coupe Karjala en novembre et
la Coupe Channel One au début de décembre.
Ce processus semble avoir donné lieu à un beau rassemblement de talent
provenant d'ailleurs que la LNH, et cette démarche pourrait rapporter
d'importants dividendes au Canada sur le podium ce mois-ci.
« Lorsqu'elle ira aux Olympiques, cette équipe tâchera d'être une fierté
pour le Canada », a déclaré Sean Burke, directeur général de l'équipe.
Fort de son expérience de 833 matchs dans la LNH, un bagage inégalé au sein
de l'équipe olympique masculine du Canada, Kelly est devenu l'un des trois
joueurs de la formation à obtenir un poste par l'intermédiaire d'un contrat
dans l’AHL, les autres étant Cody Goloubef, défenseur pour Stockton, et
Christian Thomas, avant pour Wilkes-Barre/Scranton.
« La saison a vraiment été amusante jusqu'à présent », dit-il. « C'est
certain qu'il s'agit d'une situation unique, mais d'une bonne façon. »
Outre que pour ses prouesses antérieures en tant que marqueur de 20 buts
dans la LNH, Kelly sera sollicité pour son jeu défensif solide, sa capacité
à écouler les punitions et ses qualités de meneurs parmi un groupe canadien
dépourvu d’étoiles.
Ce statut de chef de file, à lui seul, introduira une dose d'expérience
d'une valeur inestimable dans le vestiaire canadien. C'est l'une des
principales raisons pour lesquelles il a été nommé capitaine d'Équipe
Canada dans le cadre des préparatifs avant le premier match olympique.
« Nous sommes très chanceux que cette équipe soit remplie de meneurs », a
affirmé Willie Desjardins, entraîneur-chef du Canada. « Je pense que ça
illustre bien la qualité des personnes issues du monde du hockey. Ce groupe
de chefs de file montrera l'exemple et accueillera à bras ouverts cette
occasion incroyable de représenter le Canada et le sport du Canada sur la
scène mondiale à PyeongChang. »
Et lorsque l'on doit représenter une nation pour qui la médaille d’or est
la seule récompense acceptable, la présence d'un mentor qui est un champion
de la coupe Stanley et un professionnel ayant 17 ans d'expérience comme
Kelly n'a pas de prix.
« Peu importe depuis combien de temps tu joues, ça fait toujours énormément
plaisir lorsque ton pays te choisit pour le représenter aux Olympiques »,
dit-il.
Au début de la saison, Kelly n'aurait jamais imaginé que la suite de sa
carrière comporterait un voyage en Corée du Sud pour y jouer au hockey en
tant qu'athlète olympique.
Pourtant, c'est ce que son parcours lui réserve, et c'est ainsi qu'il
continuera de faire tourner l'odomètre de sa carrière, peut-être jusqu'à
l'atteinte d'une médaille d'or.